AGUIRRE, LA COLÈRE DE DIEU

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En 1971, après avoir réalisé de nombreux courts métrages et cinq longs métrages dont aucun n’avaient remporté le succès espéré, le cinéaste et producteur allemand Werner Herzog (29 ans) commence à travailler sur Aguirre, la colère de Dieu, cette histoire – véridique – de conquistadors du 16e siècle, partis à la conquête d’un mythique Eldorado qu’ils croyaient caché derrière la luxuriante végétation des larges rives du fleuve Amazone. A la tête de cette expédition, Lope de Aguirre (1508-1561), originaire du Pays Basque espagnol, réputé pour sa cruauté et surnommé « El Loco » (le fou).

A personnage hors du commun, interprète hors du commun. C’est ainsi que le cinéaste engage Klaus Kinski (45 ans), acteur né en Pologne et ayant grandi à Munich avant d’être enrôlé dans l’armée allemande et fait prisonnier. C’est deux ans après la guerre que Nikolaus Nakszynski devient Klaus Kinski et fait scandale en interprétant, sur scène, le rôle unique et féminin de la Voix humaine, le monologue de Jean Cocteau, créé à la Comédie Française, en 1930, par Berthe Bovy. Au cinéma, on le remarque vraiment en 1955. Cette année-là, il est Otto, le frère du fameux roi fou, dans Louis II de Bavière d’Helmut Kaütner et l’un des assassins de l’Archiduc François-Ferdinand, dans Sarajevo de Fritz Kortner. C’est le début, prometteur, d’une prolifique carrière. De 1955 à 1970 (sa rencontre avec Herzog), il n’arrête pas de tourner. On le retrouve à l’affiche de plus de 70 films en 15 ans, des productions majoritairement germano-hispano-italiennes et, il faut bien le dire, majoritairement oubliées, comme Guet-apens à Téhéran, Macho Callaghan se déchaîne ou autres FBI contre l’œillet chinois, sans oublier une bonne quinzaine de thrillers, adaptés de l’œuvre pléthorique et protéiforme d’Edgar Wallace, tels la Main de l'épouvante ou l'Enigme du serpent noir. Soyons juste, durant ces quinze années, on le retrouvera, aussi, en bossu atrabilaire et rancunier dans Et pour quelques dollars de plus, en anarchiste anticommuniste dans Le Docteur Jivago et en sculpteur fou dans Coplan sauve sa peau, le premier film réalisé par le jeune Yves Boisset.

Voici donc Aguirre, la colère de Dieu, tourné en 1971, projeté à la Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, en 1973 et présenté au public – français d’abord – en février 1975, seulement. Ce retard dans la distribution du film explique, d’une part, sa tardive nomination au César du meilleur film étranger, finalement remporté par Dino Risi et son Parfum de Femme lors de la première soirée des Césars, le 3 avril 1976, et, d’autre part, le tardif Grand prix du meilleur film étranger, qui lui sera attribué, la même année, par le syndicat de la critique française.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver EL DORADO (1988) (La même quête d’une terre mythique, promise aux rescapés d’une folle expédition menée par le même Lope de Aguirre.) ou encore DÉLIVRANCE (1972) (La même année, sur une rivière agitée d’Amérique du Nord, quatre hommes vivent une aventure qu’ils imaginaient moins meurtrière et destructrice.).

Si Aguirre, la colère de Dieu marque le début de la tumultueuse collaboration professionnelle entre Werner Herzog et Klaus Kinski, les deux hommes se connaissaient de longue date, puisque, à l’âge de 13 ans, en 1955, le futur cinéaste avait, tout à fait par hasard et pour quelques mois, partagé le même appartement munichois que ce jeune acteur de 30 ans, à l’aube d’une imposante carrière et, déjà à l’époque, souvent sujet à de violentes crises de nerfs. Amour/haine, attraction/répulsion, baliseront ce long et chaotique compagnonnage, raconté par Herzog, lui-même, dans Ennemis intimes, un documentaire qu’il produira en 1998, sept ans après la mort de son acteur fétiche qu’après le film que vous venez de voir, il allait retrouver pour Woyzeck, Nosferatu, Fitzcarraldo et Cobra Verde.

Le tournage de Aguirre fut particulièrement mouvementé puisqu’aux modestes conditions financières et aux rudes conditions matérielles s’ajoutait le caractère, pour le moins, égocentrique de l’interprète principal et l’attitude plutôt ombrageuse du réalisateur. Ainsi, ne supportant plus l’épreuve imposée par ce tournage atypique, Kinski menaça de tout plaquer, ce à quoi Herzog lui objecta que s’il mettait sa menace à exécution, il le tuerait d’une balle entre les deux yeux, avant de retourner l’arme contre lui ! Mêlant le geste à la parole, afin que nul ne doute de sa détermination, il tira en l’air quelques balles. Bonjour l’ambiance, comme on ne disait pas encore à l’époque ! C’est peut-être pour se calmer et se remettre de ses émotions que le comédien assomma, d’un vertigineux coup d’épée sur la tête, un pauvre figurant qui ne dut son salut qu’au casque qu’il portait, heureusement, à ce moment-là !

Les autres comédiens n’eurent qu’à bien se tenir ! Parmi eux, l’ex-mannequin mexicain, Helena Rojo dans le rôle de la mutique Inez, qui aura son heure de gloire, en 1976, aux côtés de Peter O’Toole, Charlotte Rampling et Max von Sydow, dans Foxtrot de son compatriote Arturo Ripstein, ainsi que, dans le rôle du moine, l’énigmatique comédien nommé Del Negro, curieusement déjà entraperçu, en 1966, aux côtés d’Alain Delon, alias Jacques Chaban-Delmas, dans Paris brûle-t-il ? de René Clément. Pour compléter la distribution, Werner Herzog engagea des comédiens amateurs que l’on avait jamais vu nulle part et que l’on ne revit jamais plus, tel le barbu Alejandro Repulles ou la jeune Cecilia Rivera mais il fit, aussi, appel à deux de ses amis : l’écrivain et producteur allemand Peter Berling, pour incarner Fernando de Guzman, et le dramaturge et cinéaste mozambicain, Ruy Guerra dans le rôle de Pedro de Ursua. Etudiant à l’IDHEC, adopté par le cinéma Novo – la Nouvelle Vague brésilienne –, Ruy Guera reçut l’Ours d’argent au festival de Berlin 1964, pour les Fusils et rencontra une audience internationale avec Eréndira, d’après Gabriel Garcia Marquez, présenté à Cannes, en 1983. Il y dirigeait Irène Papas, Michael Lonsdale, Rufus et Pierre Vaneck.

Herzog écrivit le scénario de son film en un jour et demi – c’est, du moins, ce qu’il affirma – et ne fit aucun découpage, attendant d’être embarqué avec sa petite équipe technique – huit personnes en tout – et ses comédiens pour savoir où poser sa caméra et quoi montrer de cette aventure, à la fois humaine et allégorique, à laquelle s’intéressera, également, le cinéaste espagnol Carlos Saura, une quinzaine d’années plus tard, avec El Dorado, où il dirigera Omero Antonutti – le père de Padre padrone – dans le rôle d’Aguirre, ainsi que Lambert Wilson, Inès Sastre et Féodor Atkine.

Commençons par le commencement : Aguirre offre l’une des plus saisissantes ouvertures de l’histoire du cinéma. Sur cette crête embrumée, on distingue progressivement une colonne humaine qui affirme laborieusement sa présence inappropriée. Dans ces accidents de la roche, ...

Puisque tout est faux. Puisqu’on sait que tout ce à quoi nous assistons, quand nous commençons un film, n’est qu’un gigantesque tour de magie. Nous décidons à chaque fois si nous allons marcher dans la combine, ou pas. Quels éléments objectifs peuvent bien présider ...

Tourné avec une seule caméra par un Herzog âgé de 28 ans, « Aguirre, la colère de Dieu » est une légende fabriquée de toutes pièces. Une quête de l'Eldorado qui se transforme en folie mégalomane, où l'hébétude côtoie sans rougir la fièvre et la fureur d'un Kinski ...