NI CHAÎNES NI MAÎTRES en VOD
- De
- 2024
- 97 mn
- Drame
- France
- - 12 ans
- VF - HD
PARCE QUE
La croyance selon laquelle les Américains feraient tout mieux que les Français dès qu’il s’agit de cinéma est une facilité à laquelle on aurait tort de céder. Mais il faut leur reconnaître une extraordinaire capacité à purger les traumas et les fautes historiques de leur pays à l’écran, là où, de l’autre côté de l’Atlantique, le mouvement est plus timoré. En témoigne la guerre d’Algérie, qui n’a jamais eu droit à une résonance cinématographique comparable à la guerre du Vietnam par exemple, ou l’esclavage. En la matière, le septième art hexagonal s’est tenu étrangement loin d’un sujet pourtant riche, tant narrativement que philosophiquement, qui aurait pu le nourrir sans forcer. Dans ce contexte, Ni chaînes ni maîtres, premier film du franco-béninois Simon Moutaïrou, attire d’autant plus l’attention.
Le récit se déroule en 1759 sur l’actuelle île Maurice, dans une plantation tenue par Eugène Larcenet (Benoît Magimel) et entretenue par des esclaves sénégalais. Parmi eux, Massamba (Ibrahima Mbaye) et sa fille Mati (Anna Diakhere Thiandoum), laquelle s’enfuit un jour. Elle devient alors un « nègre marron », une esclave en fuite. Et lorsque son maître lâche à ses trousses les chiens et une chasseuse d’esclaves, Madame La Victoire (Camille Cottin), Massamba n’a d’autre choix que de se lancer lui aussi dans la course, espérant sauver sa progéniture. Si la réalité historique sous-tend solidement le récit, le film a bien d’autres arguments à faire valoir.
En premier lieu, celui de sa subtilité. Il ne s’agit bien entendu pas d’excuser les uns ou de diminuer les souffrances des autres, mais Ni chaînes ni maîtres fait attention à chacun de ses personnages. En multipliant les points de vue, Simon Moutaïrou dresse un portrait fascinant de la société de l’époque. La quête de liberté de Mati n’est pas la même que celle de Massamba, qui a appris le français et espère un jour être affranchi en bonne et due forme, mais est considéré comme un traître par les autres esclaves. La rigidité du gouverneur invité un soir à dîner dans la plantation, et qui vomit les Lumières en vogue à Paris, se heurte aux idées plus progressistes du fils d’Eugène Larcenet. Et si elle est indéniablement la grande antagoniste de cette course-poursuite haletante, Madame La Victoire offre aussi le visage d’une femme complexe, réfugiée dans une religion catholique écrasante pour sortir d’une condition féminine misérable qui ne lui a, hélas, pas permi de développer son empathie.
Mais Ni chaînes ni maîtres est aussi un film de mise en scène, qui n’oublie jamais que le cinéma est là pour mettre en forme une histoire, et non se reposer paresseusement sur elle. Outre une photo magnifique, signée Antoine Sanier (qui a aussi travaillé sur la très belle série Les Papillons Noirs), le long-métrage s’épanouit souvent dans la vitesse, qui traduit aussi bien l’urgence de la course vers la liberté que la vision de son réalisateur. Celle-ci culmine lors d’une scène de combat sous l’orage, où se mêlent la réalité d’un affrontement brutal et l’onirisme, tandis que Massamba renoue avec les croyances de son pays. Car la libération, nous dit Simon Moutaïrou, n’est pas qu’une affaire de chaînes. C’est aussi la possibilité d’affirmer sa culture et ses traditions, bref, de vivre pleinement et entièrement qui on est.