LE JOURNAL D'UNE FEMME DE CHAMBRE en VOD
- De
- 1964
- 97 mn
- Drame
- France | Italie
- Tous publics
- VF - HD
PARCE QUE
Paru en 1900, Le journal d’une femme de chambre, roman d’Octave Mirbeau, a beaucoup inspiré le cinéma. Jean Renoir d’abord, qui en livre une adaptation en 1946, mais aussi Benoît Jacquot, qui le reprendra en 2015 avec Léa Seydoux dans le rôle-titre. Entre les deux, Luis Buñuel s’y est attaqué en 1964, au tout début de sa période française, avant Belle de Jour et Le charme de la bourgeoisie. En résulte un film étourdissant, plein de mystère et accessible à la fois, qui doit beaucoup à son réalisateur mais aussi à ses deux plus proches collaborateurs sur le projet : d’abord, Jean-Claude Carrière, qui sera son coscénariste pendant près de vingt ans ; ensuite, l’actrice Jeanne Moreau, alors au sommet de sa gloire, qui insuffle au personnage de Célestine une ambiguïté extraordinaire.
Comme dans le roman de départ, Célestine est donc la femme de chambre du titre, fraîchement arrivée de Paris pour prendre ses fonctions dans une grande maison bourgeoise de campagne. Elle y découvre une maîtresse frigide et avare, un maître frustré, un patriarche fétichiste, un garde-chasse antisémite et des voisins revenchards. Le journal d’une femme de chambre est d’abord une galerie de portraits monstrueux, au sein de laquelle Célestine trottine joyeusement. Car, et c’est là tout l’intérêt du film, ce personnage reste insaisissable. Si elle ne fait pas mystère de son agacement face aux exigences délirantes de sa patronne, la domestique n’est pas pour autant rebelle, ni particulièrement critique face aux avances des hommes de la maison. Coincée entre sa condition inférieure et son intelligence, sa lucidité sur son impuissante et une pointe de malice, elle navigue en eaux troubles avec une aisance qui confine parfois au délice.
Ce formidable personnage de cinéma tout en nuances de gris méritait une actrice à la hauteur. Jeanne Moreau aurait convaincu Luis Buñuel et Jean-Claude Carrière d’abord grâce à sa démarche, un petit pas élastique de souris, que le réalisateur filme à plusieurs reprises (le patriarche bourgeois ayant un fort tropisme pour les pieds des femmes). À la fin, elle aura tout apporté à cette Célestine, sa moue boudeuse et son rire, sa dureté qui se craquèle en un rien de temps. Et Luis Buñuel lui-même dira qu’il ne lui donnait pas d’indication de jeu car il se contentait de la suivre, elle qui lui apprendra tant de choses sur son propre personnage.
Si Luis Buñuel s’attache à retranscrire les affres de la bourgeoisie rurale française, il le fait avec au moins autant de cruauté que d’humour (formidable scène dans laquelle la maîtresse de maison demande des conseils érotiques à son curé). Mais Le journal d’une femme de chambre est aussi un film éminemment politique. L’intrigue du roman se situait à la Belle époque. Le cinéaste la transpose dans les années 1930, pendant la montée du fascisme et la crue de l’antisémitisme. Son dernier plan, sur des militants de l’Action Française qui scandent le nom du préfet de police de Paris Jean Chiappe, en fonction entre 1927 et 1934 (et qui censura, à l’époque, son film L’Âge d’or), résume l’intégralité du propos. Une société engoncée dans ses vices, incapable de déceler ce qui la ronge, ne peut que sombrer. Célestine n’observe pas seulement une famille, et même un village, se vautrer dans la médiocrité. C’est toute une société qui se délite pour embrasser une idéologie mortifère.