GRAND TOUR

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Parmi des films de facture classique ou relativement grand public, la sélection officielle du Festival de Cannes 2024 a réservé de la place à deux ovnis narratifs et visuels. Deux films plus semblables à des expériences qu’à des récits, deux histoires d’amoureux séparés et qui, coïncidence totale, se déroulent toutes les deux en Asie. Les feux sauvages, du Chinois Jia Zhangke raconte plusieurs décennies de son pays natal en réutilisant des images de ses précédents longs-métrages. Grand Tour, du Portugais Miguel Gomes, contient quant à lui de larges portions documentaires, tournées par son équipe lors d’un voyage en Asie du Sud-Est, pendant lequel il n’existait aucun scénario. Le résultat, couronné par le prix de la mise en scène par le jury de Greta Gerwig, est à la fois déroutant, sensible et d’une stupéfiante beauté.

Construit en deux parties, le film raconte, en 1918, la fuite en avant d’Edward, fonctionnaire britannique en poste à Rangoon, en Birmanie. Lorsqu’il apprend que sa fiancée Molly vient le rejoindre, il part – le « grand tour » était d’ailleurs le nom donné aux voyages initiatiques qu’effectuaient les aristocrates anglais en Europe ou dans les colonies. À mi-parcours, Miguel Gomes change de point de vue et rembobine en s’intéressant au trajet de la jeune femme sur les traces de cet homme qui toujours lui échappe. Tous deux font des rencontres étranges, en pleine ville ou en pleine jungle : milliardaire, voleurs de chevaux, servante ou religieux.

Grand Tour est un film exigeant qui nécessite de se laisser prendre par la main, ou plutôt par les sens, pour profiter pleinement de ce patchwork d’images évocatrices bercées de jazz, de Frank Sinatra entonné dans un karaoké, de musiques traditionnelles locales ou même de valse viennoise. Certaines sont donc issues de prises de vues documentaires, d’autres le fruit de (magnifiques) reconstitutions dans des studios italiens. Les noirs et blancs profonds choisis par Miguel Gomes et son directeur de la photographie, Rui Poças, qui font penser tantôt au cinéma muet des années 1920, tantôt aux screwball comedies américaines dans lesquelles nos deux héros n’auraient pas dépareillé, pourraient justifier à eux seuls le prix cannois.

À travers le temps et les espaces, Grand Tour embrasse tout ce que le cinéma peut avoir de merveilleux, au sens littéral du terme. Les personnages croisés semblent tous irréels, hors de toute époque, et permettent en creux de dessiner plus précisément ce couple mal assorti mais très incarné, elle aussi vive que lui est mélancolique, et dont on devine que tout les sépare. Surtout, Miguel Gomes a l’art de nous pousser à porter un autre regard sur les choses. Qui aurait pu penser que des mobylettes sur un rond-point, à un rythme ralenti et superposées au Beau Danube bleu de Johann Strauss, deviendraient à ce point hypnotiques ? Voilà ce qu’on appelle, aussi, la magie du cinéma.

Parfois en amont de festivals, on sait très bien dès la sélection quels films vont diviser ou même être plébiscité tant leur metteur en scène a perpétué au fil de sa filmographie des motifs appréciés ou non par les spectateurs et la critique générale. Miguel Gomes ...

Avec Grand Tour, Miguel Gomes orchestre un voyage à la fois dans le temps et dans l’espace, où l’Histoire, jamais linéaire, dévoile des récits multiples qui dialoguent entre eux, créant une mosaïque d'instants humains, aux réalités plurielles.En s'affranchissant des ...

Le manège qui ouvre Grand Tour est une invitation qu’il faut garder en mémoire lorsqu’on s’embarque dans cet étrange voyage : la dimension ludique du dispositif ne sera jamais à perdre de vue, associée au lyrisme musical plaqué sur le trafics au carrefour giratoire ...