LES MALHEURS DE SOPHIE

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Critique aux Cahiers du Cinéma, professeur à la Femis, metteur en scène de théâtre et dramaturge, écrivain en littérature jeunesse— il a publié à L’Ecole des loisirs—, Christophe Honoré cinéaste affronte des sujets durs : l’inceste, le suicide, la mort.

Mais il a aussi une prédilection pour l’enfance qui s’attarde, l’adolescence qui perdure. Certains de ses films en portent la trace, de son premier long métrage,  17 fois Cécile Cassard, aux Malheurs de Sophie en passant par les réunions familiales cathartiques et nostalgique de Dans Paris ou Non ma fille, tu n’iras pas danser, les portraits de groupe de La Belle personne, adaptation moderne de La Princesse de Clèves, et des Chansons d’amour, tragédie musicale singulière et sublime portée par les chansons d’Alex Beaupain.

Malgré le générique des Malheurs de Sophie qui ferait pâlir une pochette de disque des années 70, nous sommes ici dans la France du Second empire. Mais cette adaptation de la Comtesse de Ségur est endiablée et retorse, le format carré au lieu de rétrécir le champ ouvre tous les possibles.
Caméra à l’épaule, Honoré est prêt à suivre la petite Sophie dans toutes ses frasques et cavalcades.
La jeune Caroline Grant, cinq ans, déploie toute son énergie à incarner la pestouille, elle en fait parfois trop, joue même un peu faux par moments, mais ce cabotinage charmant fait partie du projet, lui donne son aspect fabriqué et théâtral (renforcé par le générique final), son aura de conte à la fois vieillot et furieusement moderne.

Tout y est de nos souvenirs de lectures lointaines : les poissons martyrisés, la poupée aux jambes fondues, le thé boueux… Christophe Honoré nous entraîne à sa suite, dans un jardin extraordinaire, où les animaux – hérissons et écureuils — sont dessinés et animés.
Les trois mères interprétées par Golshifteh Farahani, Anaïs Demoustier et Muriel Robin, actrices venues d’horizons très différents, entrent dans des clichés pour mieux s’en échapper. La reconstitution est jolie sans être mièvre et sent volontairement sa malle à déguisements, les anachronismes sont délicieux. Il y a de l’artifice ici, voulu et assumé, et c’est tout un art !

 
Dans le même genre vous pouvez trouver KIÉ, LA PETITE PESTE DE ISAHO TAKAHATA (1980) (L'histoire d'une sale gamine très attachante.) ou encore LES MALHEURS DE SOPHIE DE JEAN-CLAUDE BRIALY (1981) (Précédente adaptation française, plus sage, du roman de la Comtesse de Ségur.).

Comment dépoussiérer un livre désuet et archiconnu ? En le respectant assez pour le trahir si besoin !
Christophe Honoré imprime de sa patte ce sujet qui semble a priori loin de lui, oublie les sucreries pour traiter de l’enfance pure et brute. Il utilise tous les artifices du cinéma, les adresses face caméra, l’ellipse avec le tableau qui s’anime pour figurer le naufrage et même des animaux dessinés, délicats, délicieux mais qui ne sombrent jamais dans l’anthropomorphisme à la Disney.

Le réalisateur dit avoir été profondément marqué dans son enfance par Peter et Elliott le dragon réalisé, justement pour les studios Disney, en 1978 par Don Chaffey. Dans ce long métrage, tout est en images réelles, sauf le dragon Elliott. Les films mêlant des êtres de chair à des personnages ou animaux en deux dimensions sont nombreux désormais. Mais certains exemples lointains sont à jamais chatoyants : par exemple dans Escale à Hollywood de George Sidney (1945), Gene Kelly danse joyeusement avec la souris Jerry, et dans Mary Poppins de Robert Stevenson (1964), Dick Van Dyke emboîte le pas de quatre pingouins facétieux sous le regard (et le sourire merveilleux) de Julie Andrews.

C’est cet esprit encore un peu bricolé d’avant les images de synthèse super léchées et la 3D que Christophe Honoré retrouve ici, en faisant appel au dessinateur et animateur du délicat Ernest et Célestine, Benjamin Renner. Il renoue ainsi avec une tradition perdue, élégante et ludique qui réveille immanquablement nos âmes d’enfants.