LE ROYAUME en VOD
- De
- 2024
- 111 mn



- Policier / Suspense
- France
- Tous publics
- VF - HD
PARCE QUE
Que lègue-t-on à ses enfants ? La question, lancinante, traverse Le Royaume, premier film du réalisateur corse Julien Colonna. La réponse est donnée dès la séquence d’ouverture, lors de laquelle une adolescente est entraînée à découper et éviscérer un sanglier: Lesia, 15 ans, recevra la mort et la violence en héritage. Il faut dire que Pierre-Paul, le paternel, est un bandit, un vrai, un grand, qu’elle n’a pas vu depuis des mois parce qu’il a pris le maquis. Lorsqu’un jour d’été, sa grand-mère l’arrache à un indolent après-midi à la plage pour la mener à lui, la jeune fille se sent d’abord flouée. Passer du temps enfermée dans une villa avec ce père qu’elle connaît peu et ses amis, voilà qui ne l’enchante guère. Et puis, peu à peu, les liens se tissent de nouveau. Et lorsque se pose la question de partir, les proches de Pierre-Paul se faisant tous descendre l’un après l’autre, la cavale l’emporte.
Impossible de ne pas voir la part autobiographique du Royaume alors que Julien Colonna est lui-même le fils de « Jean-Jé », figure du grand banditisme corse morte en 2006 dans des circonstances suspectes. Mais jamais le réalisateur ne verse dans l’hommage ni la fascination pour le milieu mafieux. Au contraire, les parrains sont dépeints ici comme des bêtes traquées, en sursis permanent, vivotant en attendant une issue qui ne peut être que la mort ou l’arrestation – la question politique n’est jamais centrale. À l’image du sang que l’un d’entre eux enlève de ses mains dans la piscine dans laquelle tout le monde se baigne, la violence et la menace s’infiltrent partout et pourrissent tout plaisir.
En vérité, Julien Colonna avait déjà prévenu le spectateur avant même que la première image de son film apparaisse, en interrompant brutalement le chant des cigales pour ensuite montrer un cadavre de sanglier : la réalité du grand banditisme est loin d’une image de carte postale, elle est laide et morbide. Construisant savamment une atmosphère poisseuse, le réalisateur oscille entre le thriller, dont il n’adopte jamais tous les codes, et le drame familial. Le climax du Royaume est d’ailleurs atteint non pas lors d’une fusillade ou d’une course-poursuite, mais dans un magnifique monologue de Pierre-Paul, qui s’ouvre enfin à Lesia et rétablit, le temps d’un court moment, la relation filiale qu’ils n’ont jamais vraiment eue.
Désireux d’embrasser pleinement les paradoxes de son île, le cinéaste corse a bien évidemment choisi des comédiens sur place. La plupart sont non professionnels, à commencer par les deux principaux. Saveriu Santucci, guide de montagne dans la vraie vie, insuffle à son Pierre-Paul la rudesse de ceux qui sont à la fois chasseur et proie, et la douceur d’un père conscient de ce qu’il transmet. Quant à Ghjuvanna Benedetti, qui a convaincu Julien Colonna dès leur première rencontre, elle est d’une intensité impressionnante derrière sa mine bougonne. Ce sont eux, sur leurs épaules autant que dans leurs regards, qui portent ce Royaume.