AU COEUR DE LA NUIT

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Le 4 septembre 1945, c'est-à-dire quelques mois à peine après la fin de la guerre, sort sur les écrans britanniques un film pas comme les autres, Au cœur de la Nuit, en anglais Dead of night. Il est produit par les studios Ealing et il constitue la première tentative depuis longtemps pour traiter un sujet qui ne soit pas la guerre.

Les Studio Ealing sont situés dans la banlieue de Londres. Ils se rapprochent alors le plus de ce qui ressemblerait à un Studio hollywoodien, avec des techniciens et des réalisateurs sous contrats, travaillant ensemble dans les mêmes studios et les mêmes bureaux. Comme à Hollywood donc, mais en plus petit et en plus familial. A leur tête, une véritable bête de cinéma, Michael Balcon, qui deviendra Sir Michael Balcon en 1948. Celui ci est dans le métier depuis le début des années 20, il a donné sa chance à Hitchcock, il a fondé la compagnie Gainsborough et il dirige Ealing depuis 1938. C’est grâce à lui et à ses équipes que les spectateurs du monde entier vont découvrir dans les années 50 un nouveau genre de comédie à l’anglaise, avec Noblesse Oblige, l’homme au complet blanc ou Whisky à gogo.

Mais pour l’instant, pendant cet été 1945, Balcon est inquiet de l’avenir. Il réunit ses auteurs et réalisateurs, et leur déclare : « Vous avez perdu du temps, tout le monde se met à faire des films nouveaux, Michael Powell, Alexandre Korda, tout le monde sauf nous. Je vous laisse trois jours pour me trouver un projet. » Trois jours plus tard, la troupe est de retour, avec sur la table, ce qui va devenir Au cœur de la nuit, c'est-à-dire un film à sketch. Dans un cottage un soir devant des invités, un homme confie un sentiment de déjà vu et qu’il a déjà vécu ce moment précis. La soirée suscite la confidence et  chacun des invités y va de son histoire pour faire frémir, des récits de prémonitions, de miroirs hantés, de dédoublement de personnalités, et de fantômes bien sûr. Bref cinq histoires qui dans leur principe annonce les très riches heures du cinéma fantastique anglais à venir.

 
Dans le même genre vous pouvez trouver LA QUATRIÈME DIMENSION ou encore NOBLESSE OBLIGE .

Ce dernier sketch, celui du ventriloque est signé du brésilien Alberto Cavalcanti. Il devait à l’origine être interprété par le français Claude Dauphin qui refuse à cause du caractère insuffisamment étoffé du rôle. Michael Redgrave lui succède. Il travaille longuement sa voix avec Peter Brough, un authentique ventriloque de radio à la BBC, ca ne s’invente pas. Ce sketch du schizophrène est probablement le plus célèbre des cinq pour une mauvaise raison : Lorsque Au Cœur de la nuit sort aux Etats-Unis en juin 1946, le distributeur en a coupé deux histoires, celle des golfeurs et celle du fantôme de Noël, mettant par conséquent encore davantage en valeur le dernier segment. Ce qui est regrettable car le film - grâce soit rendu au superviseur Michael Balcon ! - présente une grande homogénéité de ton. Ce qui reflète en cela le mode de travail  particulier qui prévaut chez Ealing, ou tout le monde fait un peu tout. Par exemple Sidney Cole dont le nom apparaît au générique en tant que « producteur associé» a été embauché à l’origine comme monteur, mais il lui arrive aussi de réaliser, de produire et d’écrire.

C’est dans cette imprécision structurelle qu’un autre homme à tout faire, Charles Frend, a eu l’idée d’Au cœur de la nuit, de monter une anthologie d’histoires qui font peur comme les récits de fantômes de M.R. James, un auteur à la mode. Sauf que les idées ne se révèlent finalement pas aussi visuelles que Cole le pensait, et que tout Ealing se met à se passionner pour trouver des solutions. Le film sera d’ailleurs tourné avec deux équipes en parallèle qui vont rivaliser de façon amicale. Et comme Balcon aime le mouvement, il associe novices et vétérans à la réalisation. Cinq histoires, (plus la séquence de liaison), et quatre réalisateurs aux commandes : Deux jeunes, Charles Crichton qui dirige des acteurs pour la première fois de sa vie après quelques courts métrages. C’est lui qui est en charge du sketch des golfeurs. Nous lui devrons plus tard, bien plus tard le fameux Poisson nommé Wanda. Premiers pas également pour Robert Hamer qui tourne le passage du miroir hanté, peut être le plus doué de la bande, celui qui réalisera Noblesse Oblige et Il pleut toujours le dimanche, avant que l’alcool emporte son talent. Deux jeunes également mais néanmoins disons plus aguerris se chargent de deux segments chacun. Basil Dearden un pilier d’Ealing, et surtout Alberto Cavalcanti dont la carrière est une des plus étranges de l’histoire du cinéma.

Cavalcanti  est Brésilien, il a été formé en tant qu’architecte en Europe, surtout en France aux côtés des avant-gardistes L’Herbier, Fernand Léger. Jusque ce qu’il décide de faire 180°, de traverser la Manche et de servir le réalisme en tournant des documentaires avec John Grierson. C’est cette expérience qui amène Balcon à faire appel à Cavalcanti en 1942, sentant qu’en cette période de guerre, la fantaisie ne serait plus trop de mise sur les écrans et qu’il fallait faire vrai. En quelques films et quelques mois, Cavalcanti devient l’éminence grise de Balcon et de Ealing. L’après guerre de Cavalcanti sera plus nomade. Il  passera de pays en pays pour tourner aussi bien en Autriche qu’au Brésil ou en Italie.

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